La ville de Rennes est l’un des pôles estudiantins les plus importants de France. La capitale bretonne comptabilise en tout, environ 60 000 étudiants. Mais après l’obtention du baccalauréat, les lycéens rennais ont peu d’informations.
Explications sommaires, pas de pôle d’orientation, les étudiants n’arrivent pas à se rendre compte véritablement vers quoi ils se dirigent : les études supérieures. A partir de l’idée d’une lectrice, Claudie Trégouët, le blog lavierennaise a décidé d’ouvrir une nouvelle rubrique, les Etudes supérieures décryptées par … . Le but ? A travers un témoignage subjectif, un-e étudiant-e parle de ses études, de son adaptation du lycée à la première année, des attentes de la filière, de l’ambiance et surtout (vous) conseille.
Le blog lavierennaise a rencontré Soizic, étudiante en deuxième année de Khâgne en prépa littéraire Khâgne/Hypokhâgne du lycée Chateaubriand à Rennes. Elle a souhaité témoigner pour « aider les lycéens » à s’y retrouver sur la prépa, entre les clichés et la vérité. A travers de denses explications, Soizic donne des conseils et explique de façon détaillée les différents cursus et les concours des écoles à préparer.
Comment as-tu fait pour entrer en année préparatoire Khâgne Hypokhâgne au lycée Chateaubriand ? « La sélection se fait sur dossier dans le cadre d’Admission Post-Bac (APB). Il n’y a pas besoin d’une lettre de motivation, ni d’un entretien. La prépa prend en compte les bulletins du lycée jusqu’au premier trimestre de terminale. Les résultats au bac de français comptent donc, mais pas les résultats des autres épreuves. Chaque dossier est examiné par un ensemble de professeurs de la prépa qui prennent aussi en compte les appréciations qui figurent sur les bulletins. On peut intégrer une prépa lettres en venant de toutes les séries et pas uniquement de L, du moment qu’on est à l’aise dans les matières littéraires (français, philo, histoire-géo, langues, etc.). »
« Le rythme est différent par rapport au lycée »
L’adaptation du lycée à la prépa ? « L’adaptation se fait bien mais ça prend tout de même un moment pour s’habituer : non seulement on commence la vie étudiante, mais en plus le rythme est différent par rapport au lycée. Les horaires sont les mêmes qu’au lycée (une trentaine d’heures de cours par semaine, les mêmes vacances, etc.) mais la masse de travail est beaucoup plus importante ainsi que la densité des cours. Ils vont plus vite, sont plus complexes, et dans ce sens la prépa m’a paru être un bon prolongement de ce qu’on fait au lycée. Le travail personnel à côté est peut-être ce qui change le plus par rapport au lycée. Il faut s’y mettre tout de suite et prendre des habitudes parce que certains exercices reviennent chaque semaine. La vraie marche à laquelle il faut faire attention, c’est celle entre l’hypokhâgne et la khâgne. Dans mon cas [NDLR : Soizic est en deuxième année de Khâgne], la masse de travail a pratiquement triplé. Mais pour quelqu’un qui se débrouille bien au lycée, les marches se gravissent assez naturellement au fur et à mesure qu’on a envie d’approfondir ce que l’on voit. »
Les différentes matières pendant les deux années de préparation ? « En hypokhâgne ou lettres supérieures (LSup), il y a du français, de l’histoire, de la philo, deux langues avec la possibilité d’inverser LV1 (Langue vivante 1) et LV2 du lycée, de la géo et une langue ancienne. Au lycée Chateaubriand, il y a un renforcement de la LV2, de la langue ancienne, 2h de géo supplémentaires et une option cinéma. Il est conseillé d’en choisir 2, et au moins 1 est obligatoire.
En khâgne, cela dépend de l’ENS (Ecole Normale Supérieure) que l’on prépare : à la fin de la khâgne on passe un concours appelé BEL (Banque d’Epreuves Littéraires) mais selon l’ENS que l’on vise, la préparation n’est pas la même. Il y a l’ENS d’Ulm à Paris, l’ENS de Lyon, l’ENS de Cachan ville située près de Paris. Chateaubriand propose une préparation à chacune de ces trois ENS, plus une préparation spécifique pour intégrer l’Ecole des Chartes à Paris pour devenir conservateur de musée ou archiviste. Il y a donc 2 classes de khâgnes avec des matières différentes : une khâgne Lyon-Cachan et une khâgne Ulm-Chartes.
Dans la filière Lyon-Cachan, les matières sont français, philo, histoire, géo, deux langues vivantes plus une spécialité qui demande beaucoup d’heures et qui aura un fort coefficient au concours.
Dans l’autre en khâgne Ulm là où je suis, les matières sont français, philo, histoire, une langue ancienne, une langue vivante, plus une option dite « d’écrit » et une option dite « d’oral ». C’est-à-dire qu’on ne la passe au concours que si on est admis à l’oral après les épreuves écrites. Pour ma part, je fais de l’italien à l’écrit qui était ma LV2 depuis le collège et de l’histoire à l’oral. Cependant une réforme est en cours qui s’appliquera certainement l’année prochaine et qui obligera à préparer la même option à l’écrit et à l’oral. »
Le suivi de la formation ? « La discussion avec les professeurs est beaucoup plus facile qu’à la fac par exemple grâce à la disposition en classe comme au lycée et aux khôlles où nous avons la possibilité de discuter avec eux. Ils sont très exigeants à cause du niveau du concours, mais en général ils sont positifs, instaurent des exercices (comme du vocabulaire en langues) pour nous aider le plus efficacement possible. Ils prennent tous les cas en considération aux conseils de classe et sont à l’écoute de tous. On est beaucoup plus encadrés qu’à la fac, ce qui peut paraître pesant. Mais je pense que dans une formation aussi lourde, on a besoin d’être encadrés avec des obligations et des échéances. Les professeurs ne connaissent pas les élèves individuellement mais s’intéressent à chaque personne qui vient leur parler. Ceux qui réussissent le mieux à Chateaubriand, sont l’objet d’attentions spéciales de la part des professeurs, qui les encouragent particulièrement et les admissibles après les épreuves écrites sont véritablement coachés par les profs pour réussir à l’oral. C’est assez agréable de se sentir soutenu, même si c’est vrai qu’il arrive un moment où on aimerait plus d’autonomie ! »
Particularité de la prépa, vous avez des « khôlles ». Peux-tu expliquer ce que c’est, en quoi cela consiste et comment cela se passe ? « Les « khôlles » sont le moment angoissant de la première année, je crois que je ne savais pas très bien ce que c’était en arrivant en hypokhâgne et tout s’est quand même très bien passé. Il s’agit d’entraînements oraux face à un examinateur sur un sujet précis. Nous en avons dans toutes les matières, au rythme de deux à trois par an pour chaque, sûrement un peu plus en khâgne. L’examinateur est soit le professeur qu’on a dans cette matière, soit un « khôlleur », c’est-à-dire un autre professeur que l’on ne connaît pas.
On hérite d’un sujet qui peut-être une phrase, une question ou bien un texte à commenter ou traduire, particulièrement en français, langues vivantes ou anciennes. Selon les matières et les pratiques des professeurs, le temps de préparation varie avec en général plusieurs jours de préparation en hypokhâgne et une heure seulement en khâgne, pour se préparer aux conditions du concours. Il s’agit de préparer l’oral du concours, c’est-à-dire les épreuves lorsqu’on est admissible. On arrive en khôlle avec sa préparation. En vingt minutes, on fait un exposé sur le sujet puis le professeur pose des questions ou reprend notre oral pour y apporter des corrections. C’est assez stressant et je ne cache pas que je suis paniquée à chaque fois même au bout de ma vingtième khôlle ! Pourtant l’enjeu n’est pas capital, ça reste un entraînement et certains professeurs ne comptent pas la note dans la moyenne du trimestre. Il faut aussi se dire que c’est un moment privilégié d’avoir un professeur à son écoute pendant trente minutes qui se rend compte en direct de ce qui va et de ce qui ne va pas, et qui, la plupart du temps, n’hésite pas à le dire gentiment. C’est une très bonne occasion de progresser, voire de discuter avec le professeur. Beaucoup en effet en profitent pour demander comment on se sent en prépa, ce qu’on veut faire après, etc. Au final, la plupart du temps, on stresse avant et on est content après, même quand ce n’est pas très réussi. »
« La prépa est l’endroit idéal pour celui qui aime réfléchir »
Bons côtés ? « Les bons côtés de la prépa sont nombreux mais pas toujours mis en valeur : les connaissances qu’on y acquiert sont denses et ce sont des choses souvent passionnantes qu’on n’aurait pas eu l’occasion d’apprendre ailleurs. On approfondit vraiment les sujets et l’accent est toujours mis sur la réflexion plutôt que sur les connaissances. Autrement dit, c’est l’endroit idéal pour celui qui aime réfléchir. Ce qui est agréable aussi c’est la pluridisciplinarité. Très peu de formations offrent un éventail aussi large de matières dans le domaine littéraire et quand, comme moi par exemple, on ne sait pas choisir entre toutes, la prépa est un excellent compromis qui permet de faire de tout à un bon niveau en même temps. Le fait de rester dans un environnement de lycée peut paraître pénible mais en fait, cela permet de profiter d’une classe relativement réduite et des vacances des lycéens, ce qui n’est pas négligeable. Même si on se réoriente après vers des choses différentes de ce qu’on fait en prépa comme les IEP ou la fac de droit, la formation intellectuelle fournie par la prépa permet de se débrouiller partout. On apprend à penser de façon structurée, à former un argumentaire, à réfléchir plus efficacement. »
Mauvais côtés ? « J’avoue qu’au bout d’un an et demi de prépa, je commence à en avoir assez du rythme. Avoir 8h de cours par jour n’est supportable que si on est à l’aise dans un environnement scolaire et généralement, il arrive un moment où on a envie d’un emploi du temps plus léger. Le travail personnel incessant est aussi un des mauvais côtés de la prépa. On aimerait profiter de la vie étudiante, sortir le jeudi soir comme les autres ou bien parfois juste avoir le temps de faire autre chose. Or il y a tellement de travail qu’on pourrait ne faire que ça, tout le temps. C’est extrêmement pesant pour le moral parce que des pauses sont nécessaires pour ne pas déprimer, et en même temps les pauses nous font culpabiliser.
La pression et la compétition dont on entend souvent parler à propos de la prépa sont plus ou moins fondées. Je ne ressens pas beaucoup la compétition à Chateaubriand, même si chaque trimestre, sur notre bulletin, notre classement est mentionné. Un classement c’est intéressant seulement si on est en tête ou queue de classe car le milieu de la classe regroupe peut-être 30 personnes dont les notes varient très peu. C’est tellement serré qu’on peut perdre plusieurs places pour un dixième de point, ce n’est donc pas très représentatif de son niveau. La pression est forte, cependant. La khâgne, en particulier, étant une classe de concours. Nous avons deux à trois concours blancs dans l’année, des devoirs à rendre régulièrement, des khôlles à préparer… »
Tes conseils pour réussir et résister à la pression constante ? « Pour résister à la pression, il faut se dire qu’on peut vivre sa prépa comme on veut : pas obligé de viser l’ENS et de tout tenter pour l’avoir, au risque de s’épuiser. Il faut faire des pauses, même quand on a l’impression de ne pas avoir le temps. Il faut travailler régulièrement, ne pas faire d’impasse. Mais quand on manque de temps, il faut renoncer à tout savoir, à apprendre de nouvelles choses : il faut mieux bien réfléchir et pouvoir bien manier ce que l’on sait déjà. Il vaut mieux faire une prépa en s’y sentant bien même si on ne travaille pas nuit et jour plutôt que d’essayer d’atteindre le niveau exigé pour le concours et se démoraliser en cours de route.
Le travail en groupe peut aussi porter ses fruits, même si tout ne peut pas être fait de cette façon et s’entourer d’amis peut aider à surmonter la pression. Cependant il faut faire attention à ne pas se laisser influencer par la façon dont les autres travaillent et le temps qu’ils y passent ! Il faut aussi s’organiser pour être capable de prendre de vraies pauses sans paniquer ensuite parce qu’on n’a pas travaillé. Cependant, il faut faire attention à ne pas tomber dans la dérive où on se met à compter les heures qu’il nous faut pour telle ou telle tâche sans arrêt. Enfin je crois qu’il ne faut jamais faire l’économie de la réflexion, la moindre chose à laquelle on réfléchit, même si c’est en regardant un film, en discutant avec des amis peut être utile par la suite. »
Que dirais-tu aux lycéens qui n’osent pas se lancer dans cette voie ? « Cela dépend de leurs craintes. A ceux qui pensent ne pas avoir le niveau pour, je leur conseille de postuler pour des prépas plus modestes où ils seront choyés et acquerront avec d’autant plus de plaisir les qualités intellectuelles et les connaissances prodiguées par la prépa.
A ceux qui ne savent pas si des études littéraires sont faites pour eux, je leur conseille d’essayer tout de même, il existe de nombreux moyens de bifurquer après une seule année ou même en cours d’année, et les compétences et connaissances acquises leur serviront de toute façon.
A ceux qui ne savent pas si ils sont capables de travailler autant qu’il faut en prépa, je leur dirai que, pris dans le flot, on travaille de toute façon beaucoup, même si ce n’était pas le cas au lycée. Et il vaut mieux d’ailleurs ne pas avoir été à fond au lycée en terme de travail pour être à l’aise en prépa.
A ceux qui au contraire, travaillent déjà beaucoup au lycée et se demandent s’ils pourront faire plus en prépa, je leur conseille d’essayer également, car la prépa permet aussi de mieux se connaître : comment travaille-t-on le mieux, qu’est-ce-qu’on retient le mieux ? Et cette expérience leur permettrait de travailler plus efficacement, peut-être. Si c’est une question de courage et qu’on ne se sent pas de travailler autant pendant deux ans, je pense que ça vaut tout de même le coup d’essayer, au moins la première année, pour être sûr de ne pas regretter après de n’avoir pas tenté le coup.
Enfin, à ceux qui pensent que la prépa lettres est un milieu fermé, qu’il faut avoir des connaissances avant d’y entrer, une bonne culture, etc. je leur dirai que s’ils sont intéressés par les matières littéraires, ouverts, curieux, qu’ils aiment lire, ils acquerront ces connaissances plus tard, naturellement, et que n’importe quel bac permet d’être à l’aise en prépa. »
Quels sont les débouchés ? « Les débouchés sont plus ouverts qu’on peut le croire ! Le concours de la BEL permet d’accéder à beaucoup d’autres choses en dehors des ENS. Il y a deux écoles de traduction et d’interprétariat, des IEP, l’ISMaPP (Institut Supérieur du Management Public et Politique), des écoles de commerce (avec quelques épreuves supplémentaires pour certaines d’entre elles) et bien sûr il y a la possibilité de rejoindre la fac ! Dans les matières littéraires étudiées en khâgne comme lettres modernes et classiques, philo, histoire, géo, langues avec des modalités différentes selon les prépas, pour obtenir des équivalences afin d’entrer directement en deuxième ou troisième année. Certaines prépas ont des accords avec les facs de droit pour rentrer en deuxième année en rattrapant certaines choses. Il y aussi la possibilité de « khûber », c’est-à-dire de refaire une deuxième année pour repasser les concours ou bien pour arriver directement en master à la fac, ce qui peut être intéressant. Enfin, pour ceux qui n’ont pas eu Science-Po à la fin de la terminale, faire une année de prépa avant de repasser le concours peut être une très bonne solution et augmenter sensiblement les chances au concours. L’année dernière, une grande partie de ma classe d’hypokhâgne a passé le concours de Science-Po (pour les IEP de province) et beaucoup l’ont eu, y compris des personnes qui s’étaient décidées tard à le passer et n’avaient eu qu’un ou deux mois pour le préparer. »