Cultures Electroni[K] – Muages : interview de Savannah Lemonnier

La douzième édition de Cultures Electroni[K] a commencé ce lundi et dure jusqu’au 14 octobre. Âge de la « déraison » comme l’appelle Anne Burlot-Thomas, l’une des organisatrices du festival, cette édition propose nuits électroniques, expériences entre nouvelle technologie et musique et projets artistiques innovants. Cela paraît un peu abstrait présenté comme cela mais ce festival est avant tout, « un bricolage ». « Si tu as des yeux et des oreilles, c’est un bon départ [pour appréhender Cultures Electroni[K]] », plaisante l’organisatrice.

Les deux organisateurs, Gaétan Naël et Anne Burlot-Thomas, mettent en avant les projets étudiants dans ce festival. Apporter toute sorte de public sur toute sorte de lieu : « amener le grand public sur les campus [étudiants] ». Savannah Lemonnier fait partie des projets qui ont été sélectionnés, cette année. Tout juste diplômée de l’Ecole européenne supérieure d’art de Bretagne (EESAB), la jeune rennaise a été choisie pour présenter son projet Muages, ce jeudi, à l’occasion de la troisième édition de la nuit Art et Sciences, au Diapason. Entretien avec cette jeune femme pleine de projets. Ses propos ont été recueillis par téléphone.

 

Bonjour Savannah ! Tu viens d’être diplômée en expression plastique, qu’est-ce que c’est exactement ?

Savannah Lemonnier : Oui, j’ai eu récemment mon diplôme de design à l’EESAB de Rennes. En cinquième année, mon travail était concentré sur la scénographie, les objets lumineux essentiellement. Pendant mes années d’études, je me suis  focalisée sur la respiration et le monde sensible. J’ai réalisé un prototype de Muages pour mon diplôme, objet avec lequel je souhaitais déclencher l’évasion. Julien Josse, ancien étudiant de l’ISEA à Rennes, m’a aidé à réaliser tout le côté ingénierie.

Qu’est-ce que cela veut dire Muage ?

Au départ, l’archétype s’appelait Nuage. La forme du nuage m’intéressait de par son côté aérien et léger. Muage est la combinaison du mot nuage et de mouvement. J’ai remplacé la première lettre par un m. Le mouvement représente la respiration: les Muages produisent des respirations lumineuses en fonction d’un rythme déterminé. Ce dernier a plusieurs variantes, il réalise de manière autonome des scénarios lumineux. Il interagit aussi, grâce à des capteurs, avec les personnes présentes placées en dessous et change son scénario en fonction.

Tu as dit que cela représentait un nuage…

L’idée première était de ramener la forme à l’imaginaire. Comme avec un nuage, dans le Muage, chacun y voit ce qu’il souhaite. Cela se forme, se déforme. C’est aussi un travail sur la matière que j’ai fait. Cela se rapproche aussi de la respiration avec les mouvements binaires de la cage thoracique : un Muage n’aura jamais la même forme. Pour les créer, j’utilise des plaques de mousse qui donnent du volume. Je les joins en les cousant. Je crée de manière spontanée, je ne donne pas de forme définie même si je l’oriente dans telle ou telle direction, cela se construit au fur et à mesure. Au final, il garde toujours une part de décision.

Sa confection, c’est un peu comme son fonctionnement même, non ? Interagir avec l’autre tout en gardant une part d’autonomie. 

Oui, je pense que la matière a une propre vie. Le métier de designer, c’est de la guider. Cette autonomie, ma réalisation l’a grâce au circuit imprimé Arduino. Cela permet de programmer de manière aléatoire différents scénarios, comme des « battements » de lumière. Trois paramètres sont à prendre en compte pour en créer de nouveaux : la rapidité, l’intensité et la durée. Cela modifie chaque nouvelle respiration du Muage. C’est dû notamment, à la quantité de monde en-dessous du luminaire et de leurs interactions.

Tu as dit que tu avais crée un premier Muage, lors de ta cinquième année d’étude. Mais ce projet, c’était une commande du festival Cultures Electroni[K] ou tu l’avais déjà réalisé auparavant ?

Lors du salon du jeu à Brest en mars dernier, j’exposais mon prototype. Une connaissance à moi, qui travaille dans l’ingénierie, a parlé de mon projet à Cyril Guillory (NDLR : de l’association Electroni[K]) qui a été intéressé. Ensuite, l’association m’a passé commande de trois Muages que j’ai réalisé pour le festival, dans le cadre d’une scénographie dans le hall du Diapason (NDLR : scène culturelle de l’université Rennes 1).

Dans l’idée de Muages, tu explores notamment le sensoriel, l’un de tes domaines d’études. Qu’est-ce qui t’intéresse dans cette démarche ?

C’est tout d’abord un goût personnel. J’ai toujours aimé la matière, que ce soit de la matière froide comme la céramique ou chaude, comme la mousse. Dans la société actuelle, on est peu sollicités par le toucher, l’odorat. Tout est un peu aseptisé. Je voulais qu’on retrouve un contact privilégié avec la matière, que quelque chose se crée entre le spectateur et l’objet, que les deux soient impliqués. Je privilégie l’expérience au côté fonctionnel.

L’espace est aussi l’un de tes axes de réflexion.

Le fonctionnement du Muage découle de l’espace. Je souhaitais amener vers une expérience sensible. Un objet ne peut pas être appréhendé sans sa dimension spatiale. Cela révèle ou non son existence. A chaque endroit où l’on se trouve, nous y sommes connectés.

Tu as crée un collectif les Gallinulles avec Marine Le Moal, diplômée de l’EESAB Rennes, elle aussi. Toutes les deux, vous prônez un « engagement plastique partagé », notamment, dans l’écologie.

Avec Marine, j’ai réalisé les abris pour les canards au Parc Oberthür ainsi que les Lombricomposteurs primés au salon Jardin jardin. On fait aussi en parallèle nos travaux personnels. Marine est plus spécialiste pour savoir comment mettre l’urbain dans un milieu naturel et moi, plutôt de tout ce qui relève de l’univers sensible. En collaborant toutes les deux, nos projets sont plus fonctionnels et ont plus un impact comportemental. En ce qui concerne l’écologie, je pense qu’elle est inhérente au design. Cette notion doit être digérée avant même de se lancer dans un projet. Le design peut traiter de certaines questions, notamment, comme celui de l’engagement écologique.

Y en a-t-il un dans Muages ?

Ils sont composés de lumières LED et cela consomme peu d’électricité. Je me suis aussi beaucoup inspirée de la Nature mais la mousse que j’ai utilisé est synthétique. On ne peut pas dire que ce soit un objet écologique, ce serait tiré par les cheveux.

Quel impact souhaites tu avoir sur le public ?

Tout d’abord, ressentir le plaisir de regarder les choses sans comprendre quoi que ce soit. J’espère activer l’imaginaire des personnes.

As-tu des projets à venir ?

Je suis actuellement en stage et je travaille avec le Studio Massaud ainsi que le designer Vincent Dupont Rougier. Avec le collectif Gallinulles, on expose aussi cette semaine le lombricomposteur lors de la Biennale Déco et Création, à Pantin. D’ici quelques mois, on espère pouvoir l’éditer. Je vais aussi continuer à passer des concours avec Marine. On forme une équipe. Mais pour l’instant, pas de projet prévu d’ici décembre. Je suis sur plusieurs fronts professionnels.

Jeudi 11 octobre, de 20 heures à 1 heure. Entrée gratuite. Diapason.

Cultures Electroni[K] – Projet Pilot 1 : interview d’Antoine Martinet et Elsa Quintin

La douzième édition de Cultures Electroni[K] commence le 8 octobre prochain. Âge de la « déraison » comme l’appelle Anne Burlot-Thomas, l’une des organisatrices du festival, cette édition propose nuits électroniques, expériences entre nouvelle technologie et musique et projets artistiques innovants. Cela paraît un peu abstrait présenté comme cela mais ce festival est avant tout, « un bricolage ». « Si tu as des yeux et des oreilles, c’est un bon départ [pour appréhender Cultures Electroni[K]] », plaisante l’organisatrice.

Cet événement s’installe dans de nombreux lieux Rennais : au Diapason, au Tambour, aux Champs Libres, etc. et aussi, dans le lieu emblématique de la ville de Rennes, son parlement. Ce bâtiment imposant du XVIè siècle accueillera du mardi 9 octobre jusqu’au 10 novembre, le projet Pilot 1 réalisé par deux dessinateurs rennais, Elsa Quintin et Antoine Martinet, plus connu sous le nom de Mioshe. Il est le résultat de deux ans de dessin avec pour seul outil, le stylo bille. Rencontre avec ces deux artistes qui reviennent, pour le blog lavierennaise, sur leur rencontre, le projet Pilot exposé pour Cultures Electroni[K] et leur actuelle deuxième collaboration.

 

Blog lavierennaise : Bonjour Elsa et Antoine ! Vous avez réalisé le projet ensemble, comment vous êtes-vous rencontrés ?

Antoine Martinet et Elsa Quintin : On s’est rencontrés à une soirée organisée par les Agités du Bocal.

Votre projet est d’assez grande envergure au niveau de la taille notamment, comment cela vous est venu à l’idée ?

On avait envie de faire un grand dessin ! (Rires) Tous les deux, on avait envie de changer du format conventionnel. Là, c’est démesuré. La folie des grandeurs !

Et pourquoi vous êtes-vous associés tous les deux ?

Parce qu’on aimait bien le dessin ! (Rires) Et on a cette particularité de faire tous les deux du dessin au trait. On se retrouvait assez bien dans ce projet, celui de faire un dessin qui ressemble à une gravure. A grande échelle, avec beaucoup de gestes répétitifs.

Dans une vidéo où tu avais été interviewée Elsa, tu disais que ce projet c’était une façon de mettre à l’honneur le dessin.

C’est le fait de faire à la main, lentement. Sans forcément se réfugier derrière un projet très bien formulé qui en met plein la vue et qui fait parti des discours-fleuve des expositions d’art, en général. Désormais, le but de l’œuvre, ce n’est plus forcément mettre à l’honneur le dessin. Le projet Pilot a été commencé en 2009 mais on le continue au fil du temps et on a plus du tout le même rapport au dessin par rapport au début. Actuellement, on est sur un deuxième projet, basé sur la même structure avec huit panneaux, mais qui change sur la manière de travailler et de traiter l’image. Le premier projet, Projet Pilot 1, était une compilation d’une multitude de dessins qu’on avait envie de réaliser ensemble et les articuler sur un grand panneau. Beaucoup plus dans l’imaginaire, dans l’association d’idées qui nous sont propres. Celui qu’on est en train de faire, c’est une reproduction d’un montage photo construit par nous-même. Les deux n’ont rien à voir. Pourtant, c’est la même technique et les même panneaux. C’est ça qui est intéressant.

Copyright Elsa Quintin/Antoine Martinet

La performance dans votre première œuvre, ce n’était pas forcément le résultat mais aussi la manière de faire…

Déjà, il y a le fait de travailler à plusieurs. Dans le premier dessin, il y a des zones où la notion d’auteur est relativisée. On a partagé le travail. Des fois, quand une partie que l’un de nous deux avait réalisé était faible, l’autre la rehaussait et inversement. Cette notion d’auteur est assez rare, en fait : par égo, on ne repasse pas le dessin de quelqu’un. On n’a pas conservé notre identité, mais on est quand même reconnaissables ! (Sourire) Il y avait des thèmes qui nous appartenaient, réalisés avec des gestes différents. Contrairement à notre second projet où on ne peut plus reconnaître qui a fait quoi, juste la manière dont la personne appuie sur le crayon.

Le travail que vous avez réalisé avec Projet Pilot 1 fait référence aux corporations médiévales. Est-ce que le Moyen-Âge est une période importante pour vous ?

Au niveau des artistes, oui. Antoine est très proche dans son univers graphique de personnes comme Bosch et Bürgel.

Il y a de la mythologie aussi dans vos dessins.

Énormément ! Toute la fantasmagorie possible et inimaginable. Cela dit, c’est de la « fausse » mythologie. On reprend surtout des formes qui nous intéressent et on les vide un peu de leur sens. Quand tu mets Sainte Agathe qui se fait couper les seins à côté d’un dinosaure, cela n’a ni queue ni tête !

Est-ce qu’il y avait un fil conducteur dans Projet Pilot 1  ?

Oui, on savait ce qu’on allait faire. Il y avait une maquette imaginaire : on avait découpé chaque partie et tracé la forme générale de notre dessin pour savoir comment on allait occuper l’espace. Le plus dur, c’était de s’occuper des liaisons. C’est-à-dire, de raccorder telle forme avec telle autre pour que ça s’emboîte. C’est un peu comme le maçon qui doit enduire ses briques ! (Rires) Il faut trouver le bon enduit.

Vous aviez des moments de liberté pour dessiner ?

Dans notre première collaboration, oui. Dans le deuxième aussi. On a des moments de liberté mais ce n’est pas forcément le fait d’imaginer n’importe quoi et de dessiner ce que tu veux. C’est plus que des fois, il y a des grandes surfaces à faire. Du coup, trouver des manières de bouger le bras, comment tu vas rythmer ton dessin, etc. Chacun fait son traitement plastique comme il le souhaite.

Quand a commencé votre projet actuel, Projet Pilot 2 ?

En mars dernier. Et il y en a encore pour un an et demi. 2014. Après la dernière exposition qu’on a faite de Projet Pilot 1 (NDLR : en janvier dernier, à Metz), on a décidé d’en faire un deuxième. Cela s’est fait sur un coup de tête. On avait continué à faire nos projets chacun de notre côté depuis que le premier était terminé. Et en fait, cela nous manquait, un immense labeur à continuer. On s’est dits que c’était dans la durée que cela prenait du sens. Faire des séries.

Le principe de faire des mises en commun et travailler chacun de son côté sera le même ?

Oui, on fonctionne comme cela. Ensemble, on voit comment faire évoluer notre dessin, produire des effets. On se montre des techniques.

Dans votre première œuvre très riche visuellement, est-ce que vous avez pensé au regard du spectateur, à la façon dont il allait percevoir ce dessin ?

Pas forcément. Tu y penses un peu mais ce n’est pas ça qui motive. Oui, c’est toujours agréable de voir les gens scotcher dessus pendant des heures. Mais on est les premiers à en être obnubilés : le temps qu’on passe devant à le regarder et à dessiner… On est les premier spectateurs de notre œuvre.

Vous avez déjà présenté ce projet à Rennes, à Lip-Studio, l’un de vos partenaires, en décembre 2011. Pour Cultures Electroni[K], ce sera au Parlement de Bretagne. Est-ce qu’il va y avoir une autre mise en scène ?

Oui, ça va être différent. A Lip-Studio, les huit panneaux étaient posés sur la structure. D’ailleurs, c’est grâce à ce studio que le Projet Pilot a pu être mis en place et on leur en est très reconnaissants. Au Parlement, ce sera une cloison qui cassera l’espace du lieu. Le revêtement sera de la toile blanche.

Copyright Antoine Martinet

Copyright Antoine Martinet

Après le projet Pilot 1, puis le second actuel, peut-être un troisième ?

On est dans le présent, pour le moment. On en a pour jusqu’en 2014, on verra après si on en a envie, si cela a du sens à ce moment là d’en faire un.

Vernissage le mardi 9 octobre, à 19 heures, au Parlement de Bretagne. Ouvert à tous.

Cultures Electroni[K] : interview de Vincent Broquaire

La douzième édition de Cultures Electroni[K] commence le 8 octobre prochain. Âge de la « déraison » comme l’appelle Anne Burlot-Thomas, l’une des organisatrices du festival, cette édition propose nuits électroniques, expériences entre nouvelle technologie et musique et projets artistiques innovants. Cela paraît un peu abstrait présenté comme cela mais ce festival est avant tout, « un bricolage ». « Si tu as des yeux et des oreilles, c’est un bon départ [pour appréhender Cultures Electroni[K]] », plaisante l’organisatrice.

Et la première création réalisée pour cette douzième édition, est l’affiche. Chaque année, Gaétan Naël, le second organisateur, demande à un artiste de réaliser le visuel. Cette année, Vincent Broquaire a été sollicité. Jeune dessinateur touche à tout, il s’est prêté au jeu et a concocté dans sa vaine, un dessin qui représente une éclipse. Pour commencer le festival en douceur, Vincent Broquaire expose depuis lundi dernier, sept dessins de sa nouvelle collection accompagnés de plusieurs animations, créées pour l’occasion, à l’espace Crous, en face du Théâtre national de Bretagne. Entretien avec ce jeune breton plein de talent(s).

 

Bonjour Vincent ! Tu es diplômé de l’ESAD (Ecole Supérieure des Arts Décoratifs) Strasbourg depuis 2010. Tu as été beaucoup sollicité, depuis…

Oui, ça s’est assez vite enchaîné après la fin des études. Je le redoutais un peu mais les projets personnels que j’avais amorcé pour mon diplôme ont continué après. Cela s’est prolongé.

Et cette année, le festival Electroni[K] t’a repéré. Tout d’abord, est-ce que tu peux expliquer ton parcours professionnel ?

J’ai fait les arts décoratifs, en communication graphique. En sortant de l’école, je me suis dirigé dans le domaine de l’art contemporain. Maintenant, je travaille avec la galerie parisienne d’art contemporain, l’Xpo Gallery. C’est un événement qui a pas mal défini de choses. Même si moi mon travail, il n’a pas changé. Il est toujours transversal : pas très loin du graphisme, de l’illustration mais majoritairement dans l’art contemporain.

Pour Electroni[K], tu as réalisé l’affiche et le teaser du festival. Cela t’a pris combien de temps ?

L’affiche, cela a quand même pris un certain temps ! Gaétan (Naël, l’un des organisateurs du festival, NDLR) m’a contacté fin de l’année dernière. Il m’avait dit ce qu’il voulait faire avec moi. J’avais déjà vu des choses d’Electroni[K] avant, en venant à Rennes. Pour l’affiche, j’avais sorti déjà des propositions. On en a pas mal parlé, on les a remises en question. Au bout d’un moment, j’ai trouvé ce visuel-là. Dès le début, je sentais que ça pouvait être ça. Et Gaétan a tout de suite accroché. Le teaser, au départ, je devais le faire tout seul et au final, cela a changé. Cela s’est mis en place dans une maison de quartier avec des jeunes. Cela a changé la manière dont je l’envisageais. Je me suis mis en avril à faire l’atelier. Cela a duré une semaine. Ensuite, de mon côté, j’ai fait le montage et les couleurs, etc.

Escape from the sun, 2012, dessin au feutre, courtesy of XPO Gallery

Escape from the sun, 2012, dessin au feutre, courtesy of XPO Gallery

L’affiche représente une éclipse…

Oui. En fait, j’ai pas mal de dessins qui traitent de l’Homme qui agit sur la Nature ou qui la détourne. Là, il est vraiment question de ça. Sur l’affiche, au départ, le soleil devait être en jaune et je l’ai laissé en blanc car j’avais envie que cela reste très proche du dessin. Que cela ne devienne pas une sorte de surenchère, je n’avais pas envie d’en mettre trop. Le bleu donne le ciel. Mais pour moi, il n’y avait besoin d’aucune autre information. Dans le teaser, il est aussi question d’une éclipse mais je voulais que cela soit complètement différent. Un rappel mais pas une redite de l’affiche.

Alors, comment ce serait un monde sans soleil ?

Ah ! J’en sais rien ! (Rires) En tout cas s’il n’y en avait pas, je ne pourrais pas en jouer.

C’est vrai que tu y fais souvent allusion dans tes dessins.

Oui, en tout cas, dans cette série qui est à l’exposition. Cela fait un an que je détourne un peu les choses essentielles de la Nature, le soleil, la montagne, etc. Des choses très simples qu’on reconnaît très facilement et un peu universelles.

Dans une interview faite par Julia d’Electroni[K], tu disais que ton projet artistique basé sur la Nature, les nouvelles technologies, s’est lancé à partir de la performance Screen to screen (Ecran à écran, littéralement en français, NDLR), réalisée pendant tes études.

Moins pour la série avec la Nature. Dans cette série là, ce n’est pas tout à fait la nouvelle technologie dont il est question. C’est plutôt la machine, le mécanisme. On n’est pas vraiment dans la nouvelle technologie. Screen to screen a donné le ton sur la manière dont je vois les nouvelles technologies et dont on peut les utiliser. Pour cette performance, on dirait qu’il y a un logiciel de programmation mais en fait, je ne suis pas du tout programmeur. J’ai vraiment joué sur ça, l’illusion donnée par la technologie. Dans mon travail en général, c’est souvent tourner en dérision ou regarder d’un autre angle. C’est en général comme ça. Il y a de toute façon un ton et un esprit qui est là.

Ta nouvelle série de dessins exposée à l’espace Crous, comment cela t’est venu à l’esprit ?

C’est une série que j’avais déjà pas mal entamé, en partie avec mon galeriste à l’Xpo Gallery. On a fait beaucoup de salons où ces dessins étaient présentés. Pour cette expo, j’ai voulu marquer un peu le coup, avec en plus de nouvelles animations qui appuient ce travail.

Que veux-tu faire passer comme message à travers tes dessins ?

Mhhh… Je ne sais pas s’il y a vraiment un message, dans mon travail. C’est plutôt poser des questions, en fait. Je n’y réponds pas, j’en pose. Ce n’est pas vraiment un message, c’est un questionnement sur le monde, comment il fonctionne, comment nous on le fait fonctionner, comment le monde est fragile, comment on peut le fragiliser, le détruire. Comment questionner ce qu’on a toujours autour de nous qui paraît immuable et rassurant. Après, il y a aussi un but de faire rire et de ne pas prendre au sérieux certaines choses qu’on voit. La vie, en général.


Tu as dit dans une interview, que pour toi, dessiner c’est s’engager.

Oui, aussi. C’est vrai. Ce que j’aime bien dans le dessin, c’est son pouvoir communicatif, surtout quand c’est assez simple. Quand je dessine, j’essaye de ne pas trop m’embêter avec des fioritures et les couleurs. J’essaye d’aller assez prêt de l’idée et du fond. J’aime bien quand la tension entre la forme et le fond est très proche. Du coup, on comprend très vite de quoi il s’agit. Même dans Screen to screen, c’est vraiment une sorte d’engagement. Parce que le dessin m’a permis d’aller beaucoup plus loin que le dessin lui-même. C’est-à-dire de sortir d’une feuille de papier et d’aller dans un écran. Tout d’un coup, j’étais proche de personnes qui faisaient de la programmation et de l’art numérique. Le dessin, c’est un engagement. On peut aller très loin avec.

Pour faire le teaser, tu as dit que tu avais travaillé avec des jeunes de la Maison de quartier Sainte Thérèse. Hier (mardi 2 octobre, NDLR), tu as également fait un atelier. Est-ce que c’est important pour toi de travailler avec des jeunes ?

Oui, c’est important parce que j’ai envie que mon travail soit relativement accessible. Pas simpliste mais pas non plus élitiste. Après ça, ça se contrôle pas tellement mais c’est important que les jeunes et ceux qui ne sont pas forcément intéressés à l’art puissent s’y intéresser. L’art, c’est comme tout. Des fois, on n’aime pas trop mais il y a quand même une porte d’entrée.

vue de l'exposition à l'espace CROUS, animation : Get Milk, 2012

vue de l’exposition à l’espace CROUS, animation : Get Milk, 2012

Tes dessins sont quand même « grand public » avec l’utilisation de l’humour…

Des fois, il y a des choses que les gens saisissent moins. Justement, faire des ateliers comme ça, ça permet de donner une visibilité à des gens qui n’ont pas forcément accès à la culture, notamment avec les ateliers que je fais en ce moment, dans les centres d’accueil. Je pense que c’est intéressant pour eux et aussi, pour moi. C’est important de rester très proche du public et des jeunes.

Tu es venu plusieurs fois à Rennes, notamment pour les Bouillants en 2011. Dans le teaser, tu fais référence à la ville, avec les tours des Horizons (Habitats à Loyers Modérés dans le nord de Rennes, NDLR). C’est un clin d’oeil ?

Oui, c’est vraiment ça. Parce que ça se passe à Rennes et parce que je suis attaché à cette ville. J’y suis venu pas mal de fois pour travailler. Je connais pas mal de personnes, du coup faire ce clin d’oeil c’était une manière de dire « Voilà, je me sens aussi rennais, quelque part ». J’ai envie de montrer que je suis toujours dans cette ville car j’ai encore envie d’y faire des choses.

Est-ce que tu vas continuer à faire des performances comme Screen to screen ?

Je ne sais pas encore mais je sais que Screen to screen a ouvert une voie du point de vue nouvelle technologie. Cela a montré aussi que le dessin ne reste pas sur le papier. On peut totalement lui donner une autre dimension. Ça, c’est un truc qui m’a vachement influencé. S’il y en a d’autres, ce sera différent. Si je suis amené à refaire Screen to screen, ce sera sûrement d’une autre manière. Je n’ai pas envie de faire une autre performance qui lui ressemble. Si c’est le cas, il n’y aura peut-être pas de dessin. Je me laisse les portes ouvertes là-dessus. Pour l’instant, je me concentre sur des projets d’installation, des choses en volume, de la photographie. Tout ça m’intéresse un peu. J’essaye de m’ouvrir à d’autres champs, d’autres perspectives.

Et cela fera référence à tes dessins ?

J’avais déjà fait une exposition avec de la photographie à la galerie Delko, à Rennes. J’avais mis un petit panneau avec une écriture, mis en scène dans un paysage. Dans ce que j’ai déjà fait avant, je ramène le dessin dans une photo. Avec l’ensemble, cela donne quelque chose. C’est plutôt de la photo, dans ce sens-là : une intervention du dessin ou quelque chose d’écrit, une « mise en scène ».

Tu comptes garder cette façon humoristique de détourner les choses ?

C’est ma manière de fonctionner. Des fois, je me dis que mon travail devient peut-être trop sérieux…


Tu tournes aussi en dérision ton propre travail.

J’essaye de ne pas prendre au sérieux ce que je vois autour de moi ainsi que mon travail. Ce que j’ai envie de montrer aussi, pas pour cette exposition, mais pour les futures, c’est que mon travail j’ai envie de le critiquer. De me moquer de la façon dont je dessine.

Alors, que lui reproches-tu ?

Oh, rien mais je pense qu’il faut avoir du recul par rapport à ce qu’on fait. De ne pas trop prendre au sérieux les choses. C’est ce qui nous pousse à évoluer et à ne pas faire tout le temps la même chose. C’est important pour moi.

Dans quelle voie comptes-tu évoluer ?

Ce n’est pas forcément ouvrir dans d’autres domaines mais me renouveler à propos des « sujets » dont je parle dans mon travail et au domaine dans lequel je m’intéresse. Cela peut aussi s’élargir d’un coup, ainsi que dans la forme. C’est-à-dire pas forcément un dessin encadré à un mur mais cela peut être aussi sur un mur, au plafond, au sol, etc. Cela peut aussi renouveler la manière d’envisager l’espace. Cela peut donner plein de choses !

 animation projetée, vitrine extérieure, Eclipse (version 2), 2012

animation projetée, vitrine extérieure, Eclipse (version 2), 2012

Tu as d’autres projets en cours ou des idées de projets ?

Le prochain gros projet, c’est une exposition solo à l’Xpo Gallery à Paris. Cela sera début janvier. Il y aura beaucoup de nouvelles choses aussi, évidemment beaucoup de dessins mais aussi des installations, objets, photographies. Ce que j’ai envie, c’est qu’il y ait plusieurs médiums. Pour moi, pour qu’une exposition fonctionne bien, il faut qu’il y ait plusieurs moyens de s’exprimer. C’est aussi à l’image de mon travail. Je m’intéresse aux nouvelles technologies donc du coup, ça joue beaucoup de choses sur la manière dont je vais montrer mon travail. Ce que je veux, c’est donner quelque chose qui a du relief, quelque chose qui communique d’un dessin à un objet.

Propos recueillis par Manon Deniau

Exposition à voir à l’espace Crous – du 1er au 13 octobre de 10h à 19h – Entrée gratuite – plus d’infos sur http://www.electroni-k.org/vincent-broquaire.html

Si vous souhaitez en savoir plus sur son travail : Vincent Broquaire anime une conférence lundi 8 octobre, à 17h30, à l’école des Beaux-Arts.