Cultures Electroni[K] – Muages : interview de Savannah Lemonnier

La douzième édition de Cultures Electroni[K] a commencé ce lundi et dure jusqu’au 14 octobre. Âge de la « déraison » comme l’appelle Anne Burlot-Thomas, l’une des organisatrices du festival, cette édition propose nuits électroniques, expériences entre nouvelle technologie et musique et projets artistiques innovants. Cela paraît un peu abstrait présenté comme cela mais ce festival est avant tout, « un bricolage ». « Si tu as des yeux et des oreilles, c’est un bon départ [pour appréhender Cultures Electroni[K]] », plaisante l’organisatrice.

Les deux organisateurs, Gaétan Naël et Anne Burlot-Thomas, mettent en avant les projets étudiants dans ce festival. Apporter toute sorte de public sur toute sorte de lieu : « amener le grand public sur les campus [étudiants] ». Savannah Lemonnier fait partie des projets qui ont été sélectionnés, cette année. Tout juste diplômée de l’Ecole européenne supérieure d’art de Bretagne (EESAB), la jeune rennaise a été choisie pour présenter son projet Muages, ce jeudi, à l’occasion de la troisième édition de la nuit Art et Sciences, au Diapason. Entretien avec cette jeune femme pleine de projets. Ses propos ont été recueillis par téléphone.

 

Bonjour Savannah ! Tu viens d’être diplômée en expression plastique, qu’est-ce que c’est exactement ?

Savannah Lemonnier : Oui, j’ai eu récemment mon diplôme de design à l’EESAB de Rennes. En cinquième année, mon travail était concentré sur la scénographie, les objets lumineux essentiellement. Pendant mes années d’études, je me suis  focalisée sur la respiration et le monde sensible. J’ai réalisé un prototype de Muages pour mon diplôme, objet avec lequel je souhaitais déclencher l’évasion. Julien Josse, ancien étudiant de l’ISEA à Rennes, m’a aidé à réaliser tout le côté ingénierie.

Qu’est-ce que cela veut dire Muage ?

Au départ, l’archétype s’appelait Nuage. La forme du nuage m’intéressait de par son côté aérien et léger. Muage est la combinaison du mot nuage et de mouvement. J’ai remplacé la première lettre par un m. Le mouvement représente la respiration: les Muages produisent des respirations lumineuses en fonction d’un rythme déterminé. Ce dernier a plusieurs variantes, il réalise de manière autonome des scénarios lumineux. Il interagit aussi, grâce à des capteurs, avec les personnes présentes placées en dessous et change son scénario en fonction.

Tu as dit que cela représentait un nuage…

L’idée première était de ramener la forme à l’imaginaire. Comme avec un nuage, dans le Muage, chacun y voit ce qu’il souhaite. Cela se forme, se déforme. C’est aussi un travail sur la matière que j’ai fait. Cela se rapproche aussi de la respiration avec les mouvements binaires de la cage thoracique : un Muage n’aura jamais la même forme. Pour les créer, j’utilise des plaques de mousse qui donnent du volume. Je les joins en les cousant. Je crée de manière spontanée, je ne donne pas de forme définie même si je l’oriente dans telle ou telle direction, cela se construit au fur et à mesure. Au final, il garde toujours une part de décision.

Sa confection, c’est un peu comme son fonctionnement même, non ? Interagir avec l’autre tout en gardant une part d’autonomie. 

Oui, je pense que la matière a une propre vie. Le métier de designer, c’est de la guider. Cette autonomie, ma réalisation l’a grâce au circuit imprimé Arduino. Cela permet de programmer de manière aléatoire différents scénarios, comme des « battements » de lumière. Trois paramètres sont à prendre en compte pour en créer de nouveaux : la rapidité, l’intensité et la durée. Cela modifie chaque nouvelle respiration du Muage. C’est dû notamment, à la quantité de monde en-dessous du luminaire et de leurs interactions.

Tu as dit que tu avais crée un premier Muage, lors de ta cinquième année d’étude. Mais ce projet, c’était une commande du festival Cultures Electroni[K] ou tu l’avais déjà réalisé auparavant ?

Lors du salon du jeu à Brest en mars dernier, j’exposais mon prototype. Une connaissance à moi, qui travaille dans l’ingénierie, a parlé de mon projet à Cyril Guillory (NDLR : de l’association Electroni[K]) qui a été intéressé. Ensuite, l’association m’a passé commande de trois Muages que j’ai réalisé pour le festival, dans le cadre d’une scénographie dans le hall du Diapason (NDLR : scène culturelle de l’université Rennes 1).

Dans l’idée de Muages, tu explores notamment le sensoriel, l’un de tes domaines d’études. Qu’est-ce qui t’intéresse dans cette démarche ?

C’est tout d’abord un goût personnel. J’ai toujours aimé la matière, que ce soit de la matière froide comme la céramique ou chaude, comme la mousse. Dans la société actuelle, on est peu sollicités par le toucher, l’odorat. Tout est un peu aseptisé. Je voulais qu’on retrouve un contact privilégié avec la matière, que quelque chose se crée entre le spectateur et l’objet, que les deux soient impliqués. Je privilégie l’expérience au côté fonctionnel.

L’espace est aussi l’un de tes axes de réflexion.

Le fonctionnement du Muage découle de l’espace. Je souhaitais amener vers une expérience sensible. Un objet ne peut pas être appréhendé sans sa dimension spatiale. Cela révèle ou non son existence. A chaque endroit où l’on se trouve, nous y sommes connectés.

Tu as crée un collectif les Gallinulles avec Marine Le Moal, diplômée de l’EESAB Rennes, elle aussi. Toutes les deux, vous prônez un « engagement plastique partagé », notamment, dans l’écologie.

Avec Marine, j’ai réalisé les abris pour les canards au Parc Oberthür ainsi que les Lombricomposteurs primés au salon Jardin jardin. On fait aussi en parallèle nos travaux personnels. Marine est plus spécialiste pour savoir comment mettre l’urbain dans un milieu naturel et moi, plutôt de tout ce qui relève de l’univers sensible. En collaborant toutes les deux, nos projets sont plus fonctionnels et ont plus un impact comportemental. En ce qui concerne l’écologie, je pense qu’elle est inhérente au design. Cette notion doit être digérée avant même de se lancer dans un projet. Le design peut traiter de certaines questions, notamment, comme celui de l’engagement écologique.

Y en a-t-il un dans Muages ?

Ils sont composés de lumières LED et cela consomme peu d’électricité. Je me suis aussi beaucoup inspirée de la Nature mais la mousse que j’ai utilisé est synthétique. On ne peut pas dire que ce soit un objet écologique, ce serait tiré par les cheveux.

Quel impact souhaites tu avoir sur le public ?

Tout d’abord, ressentir le plaisir de regarder les choses sans comprendre quoi que ce soit. J’espère activer l’imaginaire des personnes.

As-tu des projets à venir ?

Je suis actuellement en stage et je travaille avec le Studio Massaud ainsi que le designer Vincent Dupont Rougier. Avec le collectif Gallinulles, on expose aussi cette semaine le lombricomposteur lors de la Biennale Déco et Création, à Pantin. D’ici quelques mois, on espère pouvoir l’éditer. Je vais aussi continuer à passer des concours avec Marine. On forme une équipe. Mais pour l’instant, pas de projet prévu d’ici décembre. Je suis sur plusieurs fronts professionnels.

Jeudi 11 octobre, de 20 heures à 1 heure. Entrée gratuite. Diapason.