La vingt-et-unième édition du festival des arts de la scène, Entrez dans l’Arène !, présente les projets étudiants de l’association L’Arène Théâtre et ses coups de cœur venus de Rennes et d’ailleurs. Le blog La vie Rennaise a rencontré Delphine Battour, étudiante en arts du spectacle, qui a mis en scène sa première création, 20, jouée le 23 mars à l’université Rennes 2, à 18 heures.
Cette pièce de théâtre s’inspire d’un recueil de témoignages autour d’un sujet vaste qui concerne tous les étudiants, la vingtaine, et pose de nombreuses questions : avoir 20 ans en 2013, l’âge adulte, la fin des études, le monde du travail, etc. Interview.
Bonjour Delphine ! La pièce que tu présentes, parle de la vingtaine : avoir vingt ans. D’où t’est venue l’idée ?
Delphine Battour : A la base, c’est l’idée d’une amie, Aude Fourest, étudiante à l’Ecole des Beaux-Arts de Rennes en communication visuelle. Son projet s’intéressait au rite du passage à l’âge adulte et ce que cela représente de nos jours en France. Elle avait remarqué ce phénomène dans d’autres endroits et se posait la question si aujourd’hui on avait toujours un rite. Elle avait préparé sept, huit questions du genre : comment visualises-tu l’avenir ? Comment visualises-tu la vingtaine ?
« Avoir 20 ans soulève plein de questions »
Elle avait interrogé des étudiant-es ?
Au début, elle avait choisi des ami-es à elle et ensuite, envoyé des mails à droite et à gauche avec ses questions auxquelles on pouvait répondre très basiquement ou au contraire, prendre le temps, développer et détailler. Avec toutes ces réponses, on s’aperçoit que cela soulève plein de questions. C’est presque dur d’avoir du recul sur ta vingtaine parce que 20 ans, ce n’est pas grand chose.
Cette amie, elle t’en parlait de son projet ?
Oui et j’y ai participé. Cela m’a plu d’écrire. J’ai vu le rendu sur papier, un petit bouquin de 40 pages agrémenté de dessins des personnes interrogées et leurs réponses. En le lisant, je me suis dit : « C’est génial ! Il faut en faire quelque chose, le rendre vivant ».
Et donc, tu as voulu en faire une pièce de théâtre.
Du coup, c’est de cette façon que l’idée de la pièce 20 est venue. Mais pour cela, il fallait retravailler le texte parce que c’était écrit très de façon très brute. La pièce, c’est un regroupement autour de quatre thèmes principaux : qu’est-ce que c’est avoir 20 ans, l’avenir, etc. Dans le book d’Aude, j’ai pioché des bouts de réponses qui pouvaient aller ensemble.
Tu as tout réécrit ?
Non, j’ai changé certains détails comme des passages à la ligne. Je n’ai même pas réécrit en fait, changé juste des petits mots.
Comment cela s’est mis en place ?
Il y a six acteurs, deux garçons et quatre filles. A côté de ça, ce que je trouvais intéressant, c’était d’intégrer les Beaux-Arts dans le projet vu qu’au départ, c’était une de leurs idées. J’ai donc sollicité une scénographe de l’école et Aude [Fourest, ndlr], qui a participé à la conception de l’affiche. Il y a aussi un régisseur de ma promo [en troisième année de licence arts du spectacle option théâtre] qui s’occupe des démarches à faire pour contacter les festivals.
J’ai vu dans une interview que ta façon de travailler se faisait de façon collective.
Complètement, oui ! C’est vraiment ce qui me plaît dans l’idée de ce projet. Déjà à la base, c’est du collectif car ce sont des écrits qui ont été rassemblés et qui soulèvent des questions qui nous concernent tous. Cette idée de faire des choses collectivement est vraiment importante parce que je fais de l’animation à côté, je ne sais pas si il y a un lien, mais j’aime bien cet esprit de groupe. J’aime mener un projet ensemble et voir sa finalité. Dans la pièce 20, tout le monde avait son mot à dire, autant la scénographe que les acteurs.
Les acteurs se sont réapproprié le texte ?
Mhhh… Réapproprié, oui avec leur façon de jouer. Je leur ai laissé aussi le choix de prendre les textes qui leur parlaient le plus.
Vu que ce sont des témoignages, donc des monologues, comment as-tu réalisé la mise en scène ?
Oui, que des monologues. On trouve du lien entre, on a travaillé cela pour que ce ne soit pas trop frontal même si l’intérêt que je porte à la pièce penche vers le côté brut des témoignages. Je ne voyais pas comment mettre ça en scène à part face au public et leur balancer cela à la gueule. Car c’est ça les textes. On a beau avoir été 25 à répondre au questionnaire d’Aude, on se retrouve tous dans ce qu’ont dit les uns les autres.
« Le but de 20, c’est d’avoir du dialogue à la fin, (…), un échange »
Elle a interrogé des personnes de plein de milieux différents ?
Alors cela peut être l’aspect négatif de la démarche car elle avait ciblé les personnes dans son école et son entourage. Effectivement, ce n’est pas très objectif parce qu’on est avec des personnes qui nous ressemblent, mais cela reste significatif quand même. Il y aura toujours un petit truc qui va nous marquer. Je ne cherche pas à ce que tout le monde soit d’accord avec ce qui est dit. J’ai aussi envie de personnes qui me disent : « Je ne suis vraiment pas d’accord avec ça parce que… ». Le but de 20, c’est d’avoir du dialogue à la fin de la représentation. Pas forcément positive ou négative, simplement un échange.
Tu résumes cette pièce comme « un compte-rendu de la jeunesse par la jeunesse ». Comment à vingt ans, les jeunes se voient alors ?
C’est assez noir. Cela pose des interrogations et on y retrouve principalement, une angoisse face à l’avenir. On ne sait pas trop pourquoi on est là à la fac, si notre licence va servir à quelque chose, si en continuant nos études ce sera mieux, on ne sait même pas ce qu’y on fait quelques fois.
Cela concerne plutôt le monde du travail, en fait, tout ce malaise ?
Oui, effectivement. On a beau dire « Moi ce qui m’intéresse, c’est de voyager, etc. », des phrases comme celles-là on en entend souvent autour de nous, mais tu sais très bien qu’à un moment, tu vas te retrouver face à la réalité. Il faudra trouver un boulot, construire quelque chose. Mais ce souci n’est pas nouveau. Toutes les générations ont eu ces peurs et ces craintes mais je pense qu’actuellement, on nous bassine beaucoup avec le chômage. Et puis, tu regardes un peu autour de toi, tout te fait peur. Le monde part dans tous les sens : il y a des guerres un peu partout, les banques dominent le Monde. Tu ne te sens plus vraiment en sécurité. Ces angoisses personnelles deviennent des angoisses collectives. Dans la pièce, on commence par deux témoignages de personnes qui ont la cinquantaine. Ils commencent par dire « Voilà comment c’était moi à mon époque » et à la fin, ça termine par « Moi aussi avant c’était comme ça ». Ce n’est pas une pièce de laquelle tu ressors triste. La fin est même assez positive.
Est-ce que justement ces questions, à vingt ans, il y a une possibilité d’y répondre ?
Il n’y a pas de réponse dans 20, juste des questions. On est pas là pour dire : « Voilà ce qui va mal, ne vous inquiétez pas, on a la solution !» (Sourire) C’est vraiment plus dans l’optique : « Voilà ce qui va mal, qu’est-ce qu’on fait maintenant ? » C’est l’interrogation qui est intéressante.
Toi, comment caractériserais-tu notre génération ?
Un peu perdue. Génération perdue, submergée, angoissée. On a l’impression de profiter à fond, de sortir, de rencontrer plein de monde mais on a peur de cet avenir incertain. On a toujours ce truc qui nous traîne au dessus et qui nous rappelle : « Tu dois faire des choses constructives. »
Trouver un boulot, un stage…
C’est ça. Et bien, dans 20, il est question de tous ces thèmes. Et en soirée que ce soit pour les comédiens ou moi-même, il y a toujours des éléments, des choses dont on parle, qui nous font tout le temps penser à la pièce. Constamment quand tu discutes, tu te dis forcément « Ah mais oui et dans la pièce, on en parle ! ». Car ce sont de vraies interrogations qui reviennent.
« On est là pour secouer [le spectateur], (…), le faire réagir »
20 est ta première pièce de théâtre en tant que metteuse en scène. As-tu d’autres projets ?
Oui ! La mise en scène, ça m’est venue parce que quand je regardais d’autres pièces, je me disais « Ah mais il aurait fallu faire ça au lieu de ça ». Du coup, je me suis dit que j’allais faire quelque chose personnellement. Au départ, je ne savais pas comment cela allait fonctionner, comment j’allais pouvoir mettre cela en place. Et au final, être metteuse en scène, cela te prend la tête constamment car tu y penses tout le temps, en cours ou ailleurs. Mener un projet, c’est emprisonnant mais ça t’ouvre ta créativité et ton imagination. Cela développe plein de capacités insoupçonnées ! (Sourire) Et cette première expérience m’a donné envie d’en faire plein d’autres. Pour l’année prochaine, j’ai déjà une idée toujours dans cet esprit très rentre-dedans, brutal. Ce que j’aime dans le théâtre, c’est que quand on a quelque chose à dire, on le dit et on rentre dans le spectateur entre guillemets. On est là pour le secouer, lui dire « Tu es là, tu es présent ?! » pour le faire réagir.
Un peu comme la démarche du théâtre contemporain ?
Oui, un peu mais toutes les pièces actuelles ne sont pas comme cela.
Par exemple, j’ai étudié Inferno de Roméo Castellucci dernièrement. Il veut faire réagir le spectateur à sa façon, lui aussi.
Ah mais de toute façon, Castellucci, il est génial ! Mais les metteurs en scène contemporain sont très peu à faire cela. Dans le même genre, il y a aussi Rodriguo Garcia. Dans ce que fait Castellucci, un plasticien de formation, il y a très peu de textes. Et ce n’est pas le verbe qui l’intéresse. Garcia est aussi plasticien mais est plus dans le texte. Moi, c’est ça que j’adore. Le texte avant tout et après ce qu’on va pouvoir faire avec, comment il va rentrer en contact avec les spectateurs. Dans notre recherche, le public est omniprésent. On pense constamment à lui, comment il va pouvoir recevoir la chose. Faire de l’intellect pour de l’intellect’ ne m’intéresse pas, j’ai vraiment envie de faire des pièces qui soient rentre-dedans.
Entrée gratuite – Samedi 23 mars, 18 heures – Université Rennes 2 – Salle Jarry (entrée par le hall de l’amphithéâtre B9)