La douzième édition de Cultures Electroni[K] commence le 8 octobre prochain. Âge de la « déraison » comme l’appelle Anne Burlot-Thomas, l’une des organisatrices du festival, cette édition propose nuits électroniques, expériences entre nouvelle technologie et musique et projets artistiques innovants. Cela paraît un peu abstrait présenté comme cela mais ce festival est avant tout, « un bricolage ». « Si tu as des yeux et des oreilles, c’est un bon départ [pour appréhender Cultures Electroni[K]] », plaisante l’organisatrice.
Et la première création réalisée pour cette douzième édition, est l’affiche. Chaque année, Gaétan Naël, le second organisateur, demande à un artiste de réaliser le visuel. Cette année, Vincent Broquaire a été sollicité. Jeune dessinateur touche à tout, il s’est prêté au jeu et a concocté dans sa vaine, un dessin qui représente une éclipse. Pour commencer le festival en douceur, Vincent Broquaire expose depuis lundi dernier, sept dessins de sa nouvelle collection accompagnés de plusieurs animations, créées pour l’occasion, à l’espace Crous, en face du Théâtre national de Bretagne. Entretien avec ce jeune breton plein de talent(s).
Bonjour Vincent ! Tu es diplômé de l’ESAD (Ecole Supérieure des Arts Décoratifs) Strasbourg depuis 2010. Tu as été beaucoup sollicité, depuis…
Oui, ça s’est assez vite enchaîné après la fin des études. Je le redoutais un peu mais les projets personnels que j’avais amorcé pour mon diplôme ont continué après. Cela s’est prolongé.
Et cette année, le festival Electroni[K] t’a repéré. Tout d’abord, est-ce que tu peux expliquer ton parcours professionnel ?
J’ai fait les arts décoratifs, en communication graphique. En sortant de l’école, je me suis dirigé dans le domaine de l’art contemporain. Maintenant, je travaille avec la galerie parisienne d’art contemporain, l’Xpo Gallery. C’est un événement qui a pas mal défini de choses. Même si moi mon travail, il n’a pas changé. Il est toujours transversal : pas très loin du graphisme, de l’illustration mais majoritairement dans l’art contemporain.
Pour Electroni[K], tu as réalisé l’affiche et le teaser du festival. Cela t’a pris combien de temps ?
L’affiche, cela a quand même pris un certain temps ! Gaétan (Naël, l’un des organisateurs du festival, NDLR) m’a contacté fin de l’année dernière. Il m’avait dit ce qu’il voulait faire avec moi. J’avais déjà vu des choses d’Electroni[K] avant, en venant à Rennes. Pour l’affiche, j’avais sorti déjà des propositions. On en a pas mal parlé, on les a remises en question. Au bout d’un moment, j’ai trouvé ce visuel-là. Dès le début, je sentais que ça pouvait être ça. Et Gaétan a tout de suite accroché. Le teaser, au départ, je devais le faire tout seul et au final, cela a changé. Cela s’est mis en place dans une maison de quartier avec des jeunes. Cela a changé la manière dont je l’envisageais. Je me suis mis en avril à faire l’atelier. Cela a duré une semaine. Ensuite, de mon côté, j’ai fait le montage et les couleurs, etc.
Escape from the sun, 2012, dessin au feutre, courtesy of XPO Gallery
L’affiche représente une éclipse…
Oui. En fait, j’ai pas mal de dessins qui traitent de l’Homme qui agit sur la Nature ou qui la détourne. Là, il est vraiment question de ça. Sur l’affiche, au départ, le soleil devait être en jaune et je l’ai laissé en blanc car j’avais envie que cela reste très proche du dessin. Que cela ne devienne pas une sorte de surenchère, je n’avais pas envie d’en mettre trop. Le bleu donne le ciel. Mais pour moi, il n’y avait besoin d’aucune autre information. Dans le teaser, il est aussi question d’une éclipse mais je voulais que cela soit complètement différent. Un rappel mais pas une redite de l’affiche.
Alors, comment ce serait un monde sans soleil ?
Ah ! J’en sais rien ! (Rires) En tout cas s’il n’y en avait pas, je ne pourrais pas en jouer.
C’est vrai que tu y fais souvent allusion dans tes dessins.
Oui, en tout cas, dans cette série qui est à l’exposition. Cela fait un an que je détourne un peu les choses essentielles de la Nature, le soleil, la montagne, etc. Des choses très simples qu’on reconnaît très facilement et un peu universelles.
Dans une interview faite par Julia d’Electroni[K], tu disais que ton projet artistique basé sur la Nature, les nouvelles technologies, s’est lancé à partir de la performance Screen to screen (Ecran à écran, littéralement en français, NDLR), réalisée pendant tes études.
Moins pour la série avec la Nature. Dans cette série là, ce n’est pas tout à fait la nouvelle technologie dont il est question. C’est plutôt la machine, le mécanisme. On n’est pas vraiment dans la nouvelle technologie. Screen to screen a donné le ton sur la manière dont je vois les nouvelles technologies et dont on peut les utiliser. Pour cette performance, on dirait qu’il y a un logiciel de programmation mais en fait, je ne suis pas du tout programmeur. J’ai vraiment joué sur ça, l’illusion donnée par la technologie. Dans mon travail en général, c’est souvent tourner en dérision ou regarder d’un autre angle. C’est en général comme ça. Il y a de toute façon un ton et un esprit qui est là.
Ta nouvelle série de dessins exposée à l’espace Crous, comment cela t’est venu à l’esprit ?
C’est une série que j’avais déjà pas mal entamé, en partie avec mon galeriste à l’Xpo Gallery. On a fait beaucoup de salons où ces dessins étaient présentés. Pour cette expo, j’ai voulu marquer un peu le coup, avec en plus de nouvelles animations qui appuient ce travail.
Que veux-tu faire passer comme message à travers tes dessins ?
Mhhh… Je ne sais pas s’il y a vraiment un message, dans mon travail. C’est plutôt poser des questions, en fait. Je n’y réponds pas, j’en pose. Ce n’est pas vraiment un message, c’est un questionnement sur le monde, comment il fonctionne, comment nous on le fait fonctionner, comment le monde est fragile, comment on peut le fragiliser, le détruire. Comment questionner ce qu’on a toujours autour de nous qui paraît immuable et rassurant. Après, il y a aussi un but de faire rire et de ne pas prendre au sérieux certaines choses qu’on voit. La vie, en général.
Tu as dit dans une interview, que pour toi, dessiner c’est s’engager.
Oui, aussi. C’est vrai. Ce que j’aime bien dans le dessin, c’est son pouvoir communicatif, surtout quand c’est assez simple. Quand je dessine, j’essaye de ne pas trop m’embêter avec des fioritures et les couleurs. J’essaye d’aller assez prêt de l’idée et du fond. J’aime bien quand la tension entre la forme et le fond est très proche. Du coup, on comprend très vite de quoi il s’agit. Même dans Screen to screen, c’est vraiment une sorte d’engagement. Parce que le dessin m’a permis d’aller beaucoup plus loin que le dessin lui-même. C’est-à-dire de sortir d’une feuille de papier et d’aller dans un écran. Tout d’un coup, j’étais proche de personnes qui faisaient de la programmation et de l’art numérique. Le dessin, c’est un engagement. On peut aller très loin avec.
Pour faire le teaser, tu as dit que tu avais travaillé avec des jeunes de la Maison de quartier Sainte Thérèse. Hier (mardi 2 octobre, NDLR), tu as également fait un atelier. Est-ce que c’est important pour toi de travailler avec des jeunes ?
Oui, c’est important parce que j’ai envie que mon travail soit relativement accessible. Pas simpliste mais pas non plus élitiste. Après ça, ça se contrôle pas tellement mais c’est important que les jeunes et ceux qui ne sont pas forcément intéressés à l’art puissent s’y intéresser. L’art, c’est comme tout. Des fois, on n’aime pas trop mais il y a quand même une porte d’entrée.
vue de l’exposition à l’espace CROUS, animation : Get Milk, 2012
Tes dessins sont quand même « grand public » avec l’utilisation de l’humour…
Des fois, il y a des choses que les gens saisissent moins. Justement, faire des ateliers comme ça, ça permet de donner une visibilité à des gens qui n’ont pas forcément accès à la culture, notamment avec les ateliers que je fais en ce moment, dans les centres d’accueil. Je pense que c’est intéressant pour eux et aussi, pour moi. C’est important de rester très proche du public et des jeunes.
Tu es venu plusieurs fois à Rennes, notamment pour les Bouillants en 2011. Dans le teaser, tu fais référence à la ville, avec les tours des Horizons (Habitats à Loyers Modérés dans le nord de Rennes, NDLR). C’est un clin d’oeil ?
Oui, c’est vraiment ça. Parce que ça se passe à Rennes et parce que je suis attaché à cette ville. J’y suis venu pas mal de fois pour travailler. Je connais pas mal de personnes, du coup faire ce clin d’oeil c’était une manière de dire « Voilà, je me sens aussi rennais, quelque part ». J’ai envie de montrer que je suis toujours dans cette ville car j’ai encore envie d’y faire des choses.
Est-ce que tu vas continuer à faire des performances comme Screen to screen ?
Je ne sais pas encore mais je sais que Screen to screen a ouvert une voie du point de vue nouvelle technologie. Cela a montré aussi que le dessin ne reste pas sur le papier. On peut totalement lui donner une autre dimension. Ça, c’est un truc qui m’a vachement influencé. S’il y en a d’autres, ce sera différent. Si je suis amené à refaire Screen to screen, ce sera sûrement d’une autre manière. Je n’ai pas envie de faire une autre performance qui lui ressemble. Si c’est le cas, il n’y aura peut-être pas de dessin. Je me laisse les portes ouvertes là-dessus. Pour l’instant, je me concentre sur des projets d’installation, des choses en volume, de la photographie. Tout ça m’intéresse un peu. J’essaye de m’ouvrir à d’autres champs, d’autres perspectives.
Et cela fera référence à tes dessins ?
J’avais déjà fait une exposition avec de la photographie à la galerie Delko, à Rennes. J’avais mis un petit panneau avec une écriture, mis en scène dans un paysage. Dans ce que j’ai déjà fait avant, je ramène le dessin dans une photo. Avec l’ensemble, cela donne quelque chose. C’est plutôt de la photo, dans ce sens-là : une intervention du dessin ou quelque chose d’écrit, une « mise en scène ».
Tu comptes garder cette façon humoristique de détourner les choses ?
C’est ma manière de fonctionner. Des fois, je me dis que mon travail devient peut-être trop sérieux…
Tu tournes aussi en dérision ton propre travail.
J’essaye de ne pas prendre au sérieux ce que je vois autour de moi ainsi que mon travail. Ce que j’ai envie de montrer aussi, pas pour cette exposition, mais pour les futures, c’est que mon travail j’ai envie de le critiquer. De me moquer de la façon dont je dessine.
Alors, que lui reproches-tu ?
Oh, rien mais je pense qu’il faut avoir du recul par rapport à ce qu’on fait. De ne pas trop prendre au sérieux les choses. C’est ce qui nous pousse à évoluer et à ne pas faire tout le temps la même chose. C’est important pour moi.
Dans quelle voie comptes-tu évoluer ?
Ce n’est pas forcément ouvrir dans d’autres domaines mais me renouveler à propos des « sujets » dont je parle dans mon travail et au domaine dans lequel je m’intéresse. Cela peut aussi s’élargir d’un coup, ainsi que dans la forme. C’est-à-dire pas forcément un dessin encadré à un mur mais cela peut être aussi sur un mur, au plafond, au sol, etc. Cela peut aussi renouveler la manière d’envisager l’espace. Cela peut donner plein de choses !
animation projetée, vitrine extérieure, Eclipse (version 2), 2012
Tu as d’autres projets en cours ou des idées de projets ?
Le prochain gros projet, c’est une exposition solo à l’Xpo Gallery à Paris. Cela sera début janvier. Il y aura beaucoup de nouvelles choses aussi, évidemment beaucoup de dessins mais aussi des installations, objets, photographies. Ce que j’ai envie, c’est qu’il y ait plusieurs médiums. Pour moi, pour qu’une exposition fonctionne bien, il faut qu’il y ait plusieurs moyens de s’exprimer. C’est aussi à l’image de mon travail. Je m’intéresse aux nouvelles technologies donc du coup, ça joue beaucoup de choses sur la manière dont je vais montrer mon travail. Ce que je veux, c’est donner quelque chose qui a du relief, quelque chose qui communique d’un dessin à un objet.
Propos recueillis par Manon Deniau
Exposition à voir à l’espace Crous – du 1er au 13 octobre de 10h à 19h – Entrée gratuite – plus d’infos sur http://www.electroni-k.org/vincent-broquaire.html
Si vous souhaitez en savoir plus sur son travail : Vincent Broquaire anime une conférence lundi 8 octobre, à 17h30, à l’école des Beaux-Arts.